Avez-vous entendu parler du rapport de l’ADEME sur la possibilité pour la France de passer à un mix électrique 100% renouvelable en 2050 et pour pas cher ? 120 pages, et pour ceux qui ont pris le temps de le lire (exemplaire ici) il réserve quelques perles (chapitre 5.3 – page 80) :

Les autres pays européens assurent une production à 80% renouvelable, en cohérence avec l’hypothèse d’un mix français 100% renouvelable. […] Les imports annuels sont de 56 TWh (dont 21 TWh produits à partir d’EnR dans les pays voisins). La majorité des imports exploite donc la flexibilité fossile des systèmes électriques des voisins.

Autrement dit, comprenez bien, le 100% renouvelable en France, c’est possible, mais à condition que nos voisins conservent un mix de 20% d’énergie fossile… Comment appeler cela si ce n’est de l’arnaque intellectuelle ? Et cela ne s’arrête pas là…

Les EnR chères ou pas ?

L’ADEME commence par estimer le « productible maximal théorique » de la France à 1 268 TWh, le scénario de référence s’appuie sur une consommation annuelle de 422 TWh en 2050 (page 14). La question se pose de connaître l’impact d’une « maîtrise de la demande moins efficace ». Réponse page 85 :

Le coût annuel total du système se voit alors augmenté de 26% (63 Mds€, au lieu des 50 Mds € du cas de référence), ce qui se reflète par une augmentation de 5% du coût de la fourniture énergétique, qui passe alors à 124 €/MWh

Présenté ainsi, cela semble presque indolore. Mais dit autrement, le coût des MWh supplémentaires augmente de ~25% :

  • Coût moyen des 422 premiers TWh : 119 €/MWh
  • Coût moyen des 88 TWh suivants : 148 €/MWh

En clair, on fait face à des rendements décroissants. La France dispose peut-être de 1 268 TWh d’EnR, mais seul le premier tiers est exploitable à des prix raisonnables. Si la consommation dépasse les 422 TWh prévu par l’ADEME, les coûts deviennent rapidement rédhibitoires.

Les EnR moins chères que le nucléaire ?

Voilà pour résumer les prix affichés par le rapport (page 104) :

  • Scénario 100% EnR : 119€/MWh
  • Scénario 40% EnR : 117€/MWh

Le rapport s’appuie sur un coût du nucléaire de 80€/MWh, qui reflète plus ou moins celui établi par la Cour des Comptes.

Que valent les hypothèses de consommation de l’ADEME ?

Honnêtement, sortir la boule de cristal est toujours un exercice difficile. Quelques repères pour se faire une idée de la production d’électricité annuelle française :

  • En 2050 – Scénario de référence ADEME : 422 TWh
  • Prolongation à 2050 du scénario RTE 2030 : 510 TWh
  • En 2013 : 575,1 TWh

Alors pourquoi pas, mais notons que la population aura augmenté de ~10%, et l’étude inclue un parc de 10.7 millions de véhicules électriques ou hybrides rechargeables. Pour rappel, le parc automobile français tourne plutôt aujourd’hui à 38 millions d’unités, dans un monde qui aura probablement déjà passé le « peak oil », on aurait pu imaginer un parc de véhicules électriques beaucoup plus important.

Quoiqu’il en soit, le rapport a donc bien raison de souligner que « ces hypothèses sont délirantes ambitieuses en termes d’efficacité énergétique »…

La maîtrise de la demande

Le gros problème des EnR est que le photovoltaïque produit essentiellement vers midi, l’éolien est plus ou moins constant à travers la journée, mais on observe de fortes variations à l’échelle de la semaine ou des saisons. Et globalement, l’électricité se stocke très mal à l’heure actuelle, alors que les EnR ne sont pas du tout en phase avec les pics de demande (vers 8h le matin et le soir de 18h à 22h). En gros, en PACA en 2050, cela donnerait :
prod_enr_paca

La solution de l’ADEME consiste donc :

  • à se reposer sur des technologies encore en développement pour stocker pendant les pics de production
  • à piloter la demande pour la reporter pendant les pics de production du solaire

Pour clarifier le pilotage (page 20 – chapitre 3.2.4), les compagnies d’électricité commanderont via le compteur vos appareils électriques. Au final, et en caricaturant à peine :

  • Les usages blancs (lave-linge, lave-vaisselle), c’est entre midi et deux
  • le chauffe-eau, pareil, entre midi et deux
  • le véhicule électrique est rechargé pendant la nuit ou entre midi et deux sur le site de travail
  • le chauffage, coupé pendant les pointes de 7h à 9h et 18h à 20h. Et bien sûr, réglé à 18°C max !

Cela pourrait être drôle, mais n’oubliez pas que tout dépassement de la barre des 422 TWh entraîne une explosion des coûts de production des EnR. Attendez-vous donc à un système de contrôle orwellien de votre consommation. Et si jamais, malgré les meilleurs efforts, la consommation s’en écarte trop ? Là dessus, le rapport reste muet.

Quel mérite pour le rapport de l’ADEME ?

Sans s’intéresser à la qualité des hypothèses technologiques de l’ADEME, le rapport, sous réserve d’une lecture attentive, a au moins le mérite de démontrer que le 100% électricité renouvelable n’est pas possible, simplement parce qu’il nécessite la flexibilité fossile de nos voisins. Mais plus important, il place à 1 268 TWh le maximum de production électrique annuel des EnR en France, et démontre qu’essayer d’en exploiter plus de 40% devient rapidement désastreux économiquement. De là à accuser l’ADEME d’avoir sous-estimé les prévisions de consommation 2050 …

Par contre, le grand oublié de l’étude est la consommation d’énergies fossiles hors électricité, soit ~68% de la consommation finale à l’heure actuelle. Comprenez bien que le rapport de l’ADEME n’est plus ni moins qu’une proposition de sortie du nucléaire, rebaptisée « transition énergétique », mais qui n’adresse en rien le problème du réchauffement climatique. Le potentiel utilisable des EnR représente donc 400 à 500 TWh soit moins de 20% de la consommation finale d’énergie en France, on est donc très loin du compte, et ne pas vouloir l’utiliser pour décarbonner l’économie est confondant de bêtise.