Pendant que la commission européenne s’acharne sur le budget 2015 de la France, j’ai pensé qu’il serait bon de revenir sur ce qui se passe quand un pays ne fait pas vraiment d’effort de réduction budgétaire.



Fondamentalement, les dépenses n’ont pas vraiment explosé hors éléments exceptionnels. Les US ont surtout

Pour le reste, l’augmentation des dépenses rapportées au PIB est surtout due aux programmes sociaux qui ont pris de l’ampleur avec la crise (food stamps, assurance chômage, etc.) et à la chute du PIB. Combiné à la chute des recettes, due elle aussi à la crise, le déficit a effectivement bondi à près de 10 % du PIB en 2009.

Par contre, les discussions pour réduire la dette ont surtout tourné court en 2011. Pour rappel, le « sequester » en 2013 n’a représenté que $85 Md. par an…

Si le déficit fédéral s’est fortement réduit (3.7% prévu en 2014), ce n’est pas grâce à l’austérité, mais à la reprise économique et la fin progressive des mesures de soutien à l’économie.

L’Austérité a-t-elle Cassé la Reprise en Europe ?

A la vue du précédent graphique, la question mérite d’être posée. L’économie US repart, celle de la zone euro subit un très net essoufflement depuis 2011. En fait, dès 2012, le FMI lançait un avertissement contre les effets négatifs de l’austérité dans son World Economic outlook (page 63), en mettant en avant le fait que les multiplicateurs fiscaux (*) étaient probablement beaucoup plus importants que prévus initialement, entre 0.9 et 1.7 au lieu du consensus à 0.5. Pourquoi est-ce important ?

Si pour un pays le multiplicateur fiscal est de 0,5

  • Une baisse des dépenses publiques d’un point du PIB réduit dans l’année qui suit le PIB de 0,5%
  • A sont tour, cette baisse du PIB, réduit les recettes fiscales de 0,2% (avec des prélèvements obligatoires de 40%)
  • Au final, le déficit ne s’améliore que de 0,8%

Si pour un pays le multiplicateur fiscal est de 1,5

  • Une baisse des dépenses publiques d’un point du PIB réduit dans l’année qui suit le PIB de 1,5%
  • Il s’en suit une baisse des recettes fiscales de 0,6%
  • Au final, le déficit ne s’améliore que de 0,4% ce qui est encore largement entamé par l’indemnisation du chômage en hausse

En s’appuyant sur les chiffres d’une étude de S&P de septembre 2012, on trouve cette corrélation assez frappante entre la consolidation fiscale (austérité) et l’évolution du PIB entre 2009 et 2011 :

Ce n’est pas Magique

Il ne s’agit pas de dire ici que la dépense publique crée de la croissance et d’ailleurs on ne parle ici que d’effet à court terme. En période économique faste, quand le multiplicateur fiscal est probablement proche de 0,5, c’est une bonne idée de réduire les déficits publics. L’impact sur la croissance est faible et temporaire, mais en réduisant les taux d’intérêt, les investissements privés sont stimulés ce qui à moyen/long terme va probablement générer plus de croissance.

Par contre, juste après une crise financière monumentale, quand l’ensemble des acteurs privés (ménages, banques, entreprises) essaye simultanément de se désendetter, ce qui grève fortement la demande (consommation, investissement, etc.), si le secteur public s’y met aussi, le résultat ne peut être que désastreux. C’est à peu près ce que l’on constate, à l’heure actuelle, en Europe. Les cures d’austérité se révèlent contre productives. Le PIB et les recettes fiscales chutent aussi vite que les dépenses publiques et les déficits en % de PIB ne se réduisent pas vraiment. Pire, on constate souvent deux choses :

Aujourd’hui en France

Il y a beaucoup de chose à dire sur ce graphique issue des données de l’INSEE. Déjà, contrairement à ce qu’on nous laissent penser les commentateurs du café du commerce, la dépense publique n’est pas en hausse systématique depuis 30 ans, ce qui est même remarquable compte tenu du vieillissement de la population… Mais plus important, malgré tous les efforts, depuis 2011, de réduction des dépenses et de hausses d’impôts, le déficit rapporté au PIB ne s’est presque pas réduit. Les dernières prévisions le placent même en légère hausse à 4.4% pour 2014 !

Qu’en Pensent la BCE et la Commission Européenne ?

Le parlement européen à fait en janvier 2013 un résumé du débat sur le multiplicateur fiscal.

  • Pour la Commission, c’est la faute aux taux d’intérêts des emprunts d’État (risque souverain) et il faut enlever la Grèce du graphique, ça fausse les données…
  • Pour la BCE, les multiplicateurs sont faibles sur le court terme, et sur le long terme, l’austérité va créer la croissance, surtout si le risque souverain est faible.

Qu’en est-il deux ans plus tard ? La croissance dans la zone euro est en berne, la déflation guette, et les taux d’intérêt des emprunts d’États n’ont jamais été aussi faibles, surtout depuis le « whatever it takes » de Mario.

Source : Bloomberg
Source : Bloomberg

Personnellement, je ne vois pas où se manifeste la défiance des investisseurs internationaux qui forcerait à l’austérité immédiate. Par contre, la Commission Européenne n’y voit aucune raison de changer de politique et continue de donner la priorité absolue à la réduction des déficits… Après tout, l’Espagne n’est-elle pas là pour montrer que l’austérité marche ?

  • Le chômage y frôle les 25%
  • L’État emprunte à 10 ans à moins de 2% malgré un déficit de 5.6% prévu pour 2014
  • La croissance en rythme annuel atteint enfin un médiocre 1.2%

Tout va bien en Espagne donc…

En vérité, comme le fait remarquer la Tribune, on ne voit pas très bien comment la reprise va s’accélérer. En fait, la Commission, au lieu de célébrer chaque soubresaut de croissance comme un succès des cures d’austérité, ferait mieux de se rappeler que l’Europe est bien partie pour se « japonifier », c’est à dire rentrer dans une longue période de croissance molle, parsemée d’épisodes de déflation, sur fond de chômage de masse. Et pour rappel, la déflation japonaise n’a vraiment commencé qu’en 1997, après une cure d’austérité et une hausse de la tva.

* Le multiplicateur fiscal est généralement défini comme le changement du PIB en % produit par un changement de la dépense publique ou de l’imposition de 1 point de PIB. L’approche classique généralement utilisée est résumée dans note du FMI publiée en 2009.