Les chiffres du chômage sont facilement truqués. Bug SFR, radiation expéditive etc. et bien sûr, cela n’arrive pas qu’en France. Comment comparer d’un pays à l’autre la situation de l’emploi ? Une méthode consiste à observer le taux d’emploi, c’est à dire le nombre de personnes disposant d’un emploi rapporté à la population, le tout par tranches d’âge.

Ce post va donc tenter d’analyser les données pour les hommes, mises à disposition par l’OCDE. En effet, le taux d’emploi des femmes est un indicateur du chômage mais aussi de leur accès au marché du travail et donc de l’archaïsme des différences culturelles de leurs pays. L’idée est de pouvoir comparer la situation de l’emploi entre les différents pays occidentaux, et de distinguer les tendances de fond des effets conjoncturels.



Le Taux d’Emploi en Occident

L’idée derrière l’observation de la tranche d’âge des hommes de 25 à 54 ans est qu’il s’agit d’une population qui a toutes les raisons du monde d’être active. Il n’existe pas de freins culturels, au contraire, les problèmes de santé limités, les études sont essentiellement finies, etc.
Tout de suite, quelques surprises de taille.

  • L’exception française du chômage de masse n’apparaît pas dans les chiffre! En tous cas, le taux d’emploi reste supérieur à celui de l’UE-15
  • Les pays anglo-saxons, dont on vante le plein emploi obtenu grâce notamment à une faible taxation et un marché du travail « flexible », ont finalement un taux d’emploi décevant.
  • La crise du début des années 1990 a touché inégalement les pays occidentaux, mais a été particulièrement brutale en Suède et en Finlande.
  • Finalement, les pays qui s’en sortent vraiment mieux que les autres sont les paradis fiscaux (Luxembourg, Suisse, Pays-bas, etc.)

Les Allocations Chômage pour Cause du Chômage

L’affirmation peut paraître iconoclaste, mais voir les pays anglo-saxons bénéficier officiellement, dans les années 90-2000, du plein emploi tout en ayant un taux d’emploi plutôt décevant, amène à se poser quelques questions… Une manière d’y répondre est de s’intéresser au taux d’activité qui correspond au ratio entre les actifs (occupés ou au chômage) et la population de la tranche d’âge correspondante.


Deux constations apparaissent clairement :

  • Le taux d’activité en occident a baissé, certes modérément, sur les 30 dernières années. Et c’est particulièrement vrai pour les US et la Grand-Bretagne même pendant les périodes de quasi plein emploi
  • Mis à part la Suisse, la France reste loin devant les autres pays occidentaux

Pour résumer, la France est donc un pays dont :

  • le taux de chômage est élevé depuis 30 ans
  • le taux d’emploi se compare plutôt favorablement aux autres
  • le taux d’activité (occupés + chômeurs) reste très élevé

A l’inverse, on note que le taux d’emploi des États-Unis en 2000, dernière année d’une période d’expansion faste et prolongée, n’était que de 89% à comparer à un taux de 89,9% en 1989, année qui n’est pas restée dans les annales ! Et après tout, comme les données sont disponibles depuis 1960, un graphique de plus :


Éloquent ? La raison en est simple, avec la chasse aux « welfare queens », les allocations chômages aux U.S. durent généralement 6 mois, après quoi, les chômeurs de longue durée n’ont plus vraiment d’incitation à se déclarer. Ils disparaissent donc rapidement des statistiques, le seul problème est qu’ils finissent aussi généralement rapidement inemployables et sur une pension d’invalidité.

L’exemple de la Grande-Bretagne est tout aussi frappant, 3.3 millions de britanniques sur le seul « Disability Living Allowance » en 2012 pour une population active (15-64 ans) totale de 40 millions.

Bref, la Grande-Bretagne et les USA n’ont pas de chômeurs, ils ont des invalides… Facile dans ces conditions de réduire le chômage. En France, aussi longtemps qu’il sera plus intéressant d’émarger à l’assurance chômage qu’au RMI/RSA, on conservera un chômage de masse.

Le Chômage des Seniors : un Effet « Horizon »

Je suis bien conscient qu’une critiques de ce qui précède, est de répondre que le taux d’emploi des 25-54 ans est plus élevé car il se réalise au détriment de celui des seniors mis en pré-retraite d’office ou qu’aucune entreprise ne veut embaucher. Après tout, « c’est bien connu », le taux d’emploi des 55-60 ans est catastrophique en France… Ou pas vraiment.


L’ « effet horizon » est l’idée que le report de l’âge légal de départ à la retraite, en modifiant de facto l’horizon de fin de vie active, joue sur l’emploi et l’activité des seniors. Par exemple, pour un salarié à 2 ans de la retraite

  • Les entreprises ne sont pas vraiment motivées à l’embaucher : le temps de former le salarié…
  • un senior sera sollicités par les plans de pré-retraite pour limiter les licenciements
  • etc.

L’effet horizon est sujet à débat, certes. Mais il est intéressant de constater que, depuis que le nombre de trimestres nécessaires pour un taux plein a été augmentés, et que l’âge de départ légal a été repoussé, le taux d’emploi des 55-59 ans est reparti à la hausse pour quasiment rejoindre le niveau de la tranche d’âge 25-54 ans, et ce malgré la crise. Bref, à voir les courbes, le faible taux d’activité des seniors apparaît plus un choix de société, discutable peut-être (probablement ?), qu’un problème de chômage.

Le Chômage des Jeunes


Là, le taux d’emploi des 20-24 ans, sans être le pire, est clairement faible. A ce niveau là, on peut fournir trois explications :

  • Le marché du travail en France est difficile d’accès en favorisant les insiders
  • la démocratisation de l’enseignement supérieur a retardé l’âge d’entrée sur le marché du travail
  • Le coût des études dans d’autres pays rend quasi-obligatoire les jobs d’étudiants

Il est difficile d’établir le poids relatif de ces trois facteurs. Et clairement, je n’irai pas argumenter que le 1er point n’est pas un problème en France. Ceci dit, il ne faut non plus négliger le coût des études aux US. Le coût annuel moyen dans une « 4-year university » des frais de scolarité, logement et repas était en 2011-12 de $23 000. Autant dire qu’un diplôme à $92 000 est inaccessible aux classes moyennes sans une combinaison de fort endettement et de jobs étudiants, même si certains semblent bien rémunérés.

Ce qu’il faut en penser

Le but de cet article n’était pas d’expliquer que tout va bien en France. Bien évidemment, les 30 glorieuses, période de la reconstruction et rattrapage économique sans précédent, sont terminées et depuis la croissance n’est plus ce qu’elle était. Mais ce constat est le même partout en occident.

Mais quelque part, dans les années 90, avec la reprise économique aux US et en Grande-Bretagne qui ont suivi la libéralisation des années Reagan/Thatcher, s’est répandue l’idée qu’il existait un choix à faire entre l’État-providence et l’emploi. La preuve en était les faibles taux de chômage des pays anglo-saxon !! Mais quand on regarde de plus près les chiffres de la décennie 90

La Grande-Bretagne :

  • Certes le taux d’emploi est reparti à la hausse mais il était, en 2000, toujours inférieur de 2 point à son niveau de 1990
  • Le taux d’activité a lui chuté de presque 3 points.

Autant il faut mettre au crédit de la Grande-Bretagne d’avoir remonté la pente, autant il aurait fallu se garder de crier victoire sur le chômage.

Les États-Unis :
Si le taux d’activité des hommes de 25-54 ans a perdu 1,77 points, il faut reconnaître que le taux d’activité, sans être exceptionnel, est resté bien meilleur qu’en Europe. En même temps, la crise du début des années 1990 y a été moins sévère, et je pense qu’on oublie trop rapidement quelques facteurs :

  • L’Europe a subi la crise du SME en 1992 et la sortie de la Livres Sterling. Franchement, ça ressemble à la situation actuelle de l’Euro.
  • L’éclatement du bloc communiste et le début de l’intégration des pays de l’Est. Pas neutre pour la Finlande ou l’Allemagne
  • Les US ont été épargnés par les crises bancaires comme celles sévères qu’on connu la Finlande ou la Suède.

Toutes ces raisons peuvent très bien expliquer la meilleure santé économique américaine des années 90, d’autant plus que les taux d’emploi européens ont rattrapé voir dépassé les niveaux américains dans les années 2000.

Pour autant, le consensus est et reste, comme depuis maintenant 25 ans, que si une économie va mal, c’est qu’elle a besoin de réformes structurelles, entendez libéralisation du marché du travail, baisse des salaires et des impôts, etc. Peu importe que la crise financière de 2008 n’ait aucun équivalent depuis le crash de 1929. Peu importe que l’Euro mal construit et l’austérité qui s’en suit depuis 2010 plonge la zone Euro dans une nouvelle récession. Puisqu’on vous dit que les problèmes sont structurels! Reconnaissons néanmoins que certains ont l’honnêteté intellectuelle, ou le cynisme, d’admettre que la crise actuelle est l’occasion de passer les réformes qu’ils souhaitent, peu importe les dommages collatéraux. Car si le bénéfice en terme d’emploi des « réformes structurelles » est loin d’être évident, une chose est sûre, elles ont poussé aux US de larges segments de la population dans la misère.