Une comparaison entre la Grande-Bretagne et l’Espagne est révélatrice, ces deux pays étant plus similaires dans la crise qu’il n’y parait. Bien sûr, la Grande-Bretagne est plus développée, mais tous deux ont connu une bulle immobilière qui, en éclatant fin 2007, a laissé exsangue leur secteur bancaire. Depuis le début de l’année 2010, l’Espagne fait partie des pays au cœur de la crise de la zone Euro, irresponsables fiscalement, alors que la Grande-Bretagne, plus vertueuse, n’a pas connu de tempête sur sa dette publique. Tout du moins est-ce la lecture officielle des événements.


Similarités et Paradoxe

On constate effectivement deux bulles immobilières avec un atterrissage un peu plus brutal en Grande-Bretagne. Eurostat ne disposait pas de données antérieures à 2005, était-ce sans intérêt? En attendant, il est difficile de bien capturer le départ de la bulle.


Les deux pays observent une forte chute de leur PIB sur les 18 premiers mois de la crise, avec un léger avantage pour l’Espagne jusqu’au début de la crise de la zone euro.


Dans les deux cas, la dette dérape dès 2008 avec la crise et le sauvetage des banques (nationalisation partielle des britanniques et recapitalisation des espagnoles par Madrid avec un dernier emprunt de 100 Md. € en 2012 auprès de ses partenaires). Mais il est important de voir que, pendant les bonnes années, la dette publique espagnole était en forte baisse alors que la britannique dérapait légèrement. Juste avant le début de la crise de l’Eurozone, l’Espagne affiche même une dette publique inférieure de 13 points de PIB à la Grande-Bretagne. Il est donc très difficile de mettre l’Espagne dans le même panier que la Grèce et de la déclarer irresponsable fiscale.

L’Espagne fait-elle vraiment face à une crise de solvabilité?

Depuis le début de la crise et jusqu’à au début 2010, les principaux indicateurs qui mesurent la solvabilité d’un État, c’est-à-dire l’évolution du ratio de dette, de son PIB, etc. sont aussi mauvais, même si légèrement meilleurs, pour l’Espagne que pour la Grande-Bretagne. Et pourtant, les taux à 10 ans, qui devraient être un indicateur du risque de défaut d’un État, s’affolent complètement pour la première.

Pour quelle raison les marchés financiers se détournent de la dette Espagnole ?
Une réponse possible pourrait être un problème lié à la santé et au risque d’effondrement du système bancaire. Cependant, il est difficile d’expliquer que les banques britanniques sont en meilleur état que leurs consœurs espagnoles. Par contre, une différence majeure entre les dettes souveraines réside dans le fait que l’Espagne émet sa dette dans une monnaie qu’elle ne contrôle pas. Il existe bien une banque centrale, mais la BCE veille avant tout, et par dessus tout, à la stabilité des prix et doit composer avec les intérêts divergents de ses membres.

Le scénario britannique
Supposons que pour une raison ou une autre les investisseurs craignent un défaut britannique, ils vont vendre leurs titres de dette (gilts) ou cesser d’en acheter. Et ensuite? Ils peuvent réinvestir dans d’autres actifs britannique mais ils vont plus probablement chercher à se débarrasser de leurs Livres Sterling ce qui va pousser cette dernière à la baisse sur le marché des changes jusqu’à pouvoir trouver suffisamment d’acheteurs. D’ailleurs en 2008 et 2009, l’économie britannique a connue une sortie de capitaux mais sans grande conséquence sur les taux d’intérêt.
GBP/Eur
Mais dans tous les cas, la quantité de livres sterling en Grande-Bretagne reste la même et finit par être investie dans des actifs britanniques. Et en dernier recours, si jamais les taux auxquels empruntent le gouvernement britannique s’envolent, on imagine difficilement la Banque d’Angleterre ne pas intervenir. Implicitement, à travers ses opérations Open-Market, elle garantie que £1000 de gilts vaudront toujours à terme £1000, même si entre temps la Livre ne vaut plus rien.

Le scénario espagnol
A l’inverse, si les investisseurs prennent peur d’un éventuel défaut espagnol, ils ont à leur disposition d’autres options et peuvent acheter, par exemple, des Bunds allemands. La BCE peut mettre à disposition tout les liquidités qu’elle veut, ce qu’elle a fait en 2008-2009, a priori personne ne peut vraiment empêcher les capitaux de fuir le système bancaire espagnol pour le reste de la zone Euro. L’Espagne se retrouve donc confrontée à une crise de liquidité, ses taux d’intérêt s’envolent et un défaut devient une possibilité.

Cercle vicieux

A partir de là, l’Espagne est rentrée dans un cercle vicieux en 2010. Sa position financière n’est pas si mauvaise au départ mais son économie fait face à une crise de liquidité. Ses banques sont exsangues, la crise économique ravage leurs actifs (prêts immobiliers, etc.) et les emprunts d’États espagnols qu’elles possédaient en réserve perdent de leurs valeurs avec la remontée des taux ce qui plombe encore plus leurs bilans. La nécessité d’un sauvetage se fait de plus en plus sentir, ce que l’Espagne se retrouve à devoir assurer seule mettant encore un peu plus en doute ses capacités de financement. La fuite des capitaux s’aggrave alors, freinant encore un peu plus l’économie, plombant les banques, etc. La boucle est bouclée, on assiste alors à une sorte de prophétie auto-réalisatrice qui s’est déclenchée quand la possibilité d’un défaut grec est apparue.

A l’opposé, la situation de la Grande-Bretagne est bien meilleure. Son économie et encore moins son gouvernement ne peuvent se retrouver face à une crise de liquidité, la Banque d’Angleterre agissant en tant que prêteur de dernier ressort. Elle peut connaître une fuite de capitaux, mais la Livre Sterling baisse ce qui stimule son économie. Les dettes britanniques étant libellées en Livres, cela n’aggrave pas l’endettement qui est au centre de la crise. Si vous n’êtes pas convaincus, je ferai remarquer que les taux espagnols ont connus deux baisses depuis 2010. Une première de courte durée début 2012 qui correspond à l’annonce par la BCE des deux LTROs. Une deuxième plus pérenne au dernier trimestre 2012 qui suit l’annonce le 2 août 2012 des OMT et qui fondamentalement signifie que la BCE a enfin décidé de (presque) jouer pleinement son rôle de banque centrale:

« the ECB is ready to do whatever it takes to preserve the euro. And believe me, it will be enough. » – Mario Draghi le 26 juil. 2012

Manque de Flexibilité

On nous explique maintenant que l’Espagne doit souffrir faire des réformes structurelles, redresser sa compétitivité-coût, autrement dit baisser ses salaires, le tout dans un contexte d’austérité budgétaire. S’il est vrai que les coûts espagnols sont trop élevés par rapport au reste de la zone Euro, notamment l’Allemagne, il est intéressant de rappeler que la Grande-Bretagne a bénéficié d’un ajustement rapide et quasi indolore avec la chute de la Livre. En Espagne, les salaires stagnent mais ne baissent pas vraiment comme le rappelle le FMI. Le passage à l’Euro a bloqué tout mécanisme d’ajustement économique à un choc par le taux de change. Et quand bien même l’Espagne parviendrait à organiser une dévaluation interne comme l’Irlande, le poids des dettes augmenterait par rapport à la richesse nationale étouffant encore un peu plus son économie. Ici sont présentés les taux de changes réels, c’est à dire, entre autre, corrigés de l’inflation:

L’Hyperinflation

Emprunter auprès de sa banque centrale, plus communément appelé « faire tourner la planche à billet », présente bien sûr le risque pour un État de créer un épisode d’hyperinflation comme l’a connu l’Allemagne sous la république de Weimar. De plus, et on peut comprendre les réticences allemandes, cela revient à subventionner la Grèce, les pays irresponsables ce qu’on a finit par faire de toutes façons. Mais l’hyperinflation, objectivement, la Grande-Bretagne en très loin.


Est-ce vraiment étonnant? La crise financière de 2008 a laissé en occident un secteur privé sur-endetté. D’un côté les banques ne prêtent plus afin d’essayer d’assainir leur bilan, de l’autre les consommateurs essayent de se désendetter surtout quand leur maison vaut moins que le capital restant dû sur leur crédit. Quant aux entreprises, celles qui le peuvent encore n’ont pas trop de raisons d’emprunter. En attendant, le crédit s’effondre, les liquidités imprimées sont conservées par les banques au lieu d’être diffusées dans l’économie qui reste déprimée. Ici, une mesure de la masse monétaire M4 par la Banque d’Angleterre. Malgré tous le « Quantitative Easing » et une inflation de 20% depuis janvier 2008, elle décroche, symbole de l’ampleur de la crise.


Et encore une fois, une inflation soutenue, mais somme toute modérée, ne peut être que salvateur. Au moins pour la Grande-Bretagne qui vient d’en avoir 20% sur 6 ans. Elle réduit le poids des dettes par rapport aux revenus et aux PIB. Dans le cas de l’Espagne, c’est un choix impossible. Trop d’inflation par rapport à l’Allemagne et sa compétitivité se dégrade un peu plus. Pas d’inflation, voir une légère déflation, et le poids des dettes devient insoutenable. A titre de précision, l’indice prc_hpi est mesuré dans la monnaie nationale et ne prend pas en compte l’inflation. Autrement dit, les prix de l’immobilier britannique sont bien revenus en terme nominal à leurs niveaux de 2007 mais restent, en terme réel, toujours 20% inférieurs. Les prix de l’immobilier espagnol par contre continuent d’enfoncer l’économie.

Un Euro mal construit

On nous a présenté la crise de l’euro comme une leçon de morale. Les pays « cigales » devaient maintenant se serrer la ceinture et payer pour leurs années d’excès. Mais quand on y regarde de plus près, l’Espagne a été dans les années 2000 l’élève modèle de la zone Euro, elle avait une forte croissance et un endettement public en forte baisse. Et pourtant… Bien sûr, elle a connu une bulle immobilière, et alors ? Le meilleur moyen de l’enrayer était une hausse des taux d’intérêts qu’elle ne contrôlait pas. D’ailleurs est-il surprenant de voir l’immobilier en Allemagne repartir à la hausse depuis 2010 après 10 ans de stagnation?
En réalité, la zone euro a été mal construite. Les économies de ses membres étaient censées converger, clairement ce ne fut pas le cas. Pire, elles ont abandonnées un élément important de flexibilité pour absorber les chocs, un taux de change variable, et ce faisant elles se sont placées dans la situation de pays émergents dont la dette est libellées en dollars ou euros. En attendant, plutôt que de reconnaître ces problématiques, la zone euro insiste pour faire le minimum au dernier moment tout en demandant des sacrifices considérables à ses pays membres, sacrifices qui ressemblent plus à une version moderne des flagellant moyenâgeux.
Bien sûr, la crise actuelle finira par se dissiper. Le risque de défaut souverain semble maintenant couvert. Le secteur bancaire finira par se réparer ou être recapitalisé. Les divergences entre ses pays membres finiront par se résorber. Le reste de l’économie mondiale a déjà redémarré, même si des risques dans les pays émergents apparaissent, et elle ne manquera pas d’entraîner la zone euro. Mais combien de temps perdu et au dépend de combien de légions de chômeurs plongés dans la misère la plus crasse ? Et bien sûr, la question à 100€ qu’aucun de nos dirigeants européens ne semble vouloir se poser : que se passera-t-il à la prochaine crise économique ?