Une nouvelle réforme des retraites est actuellement en préparation. Bien évidemment, tout le monde s’empoigne à coup de chiffres pour expliquer problèmes ou solution miracle. Comme d’habitude, si les chiffres ne sont pas nécessairement faux, leur présentation est, elle, trompeuse. Il était temps de rappeler quelques faits.

L’espérance de vie plombe les régimes de retraite

Argument classique. En 1945, l’âge légal de la retraite était fixé à 65 ans avec une espérance de vie moyenne de 62,5 ans. En 1982, la retraite passe à 60 ans avec une espérance de vie à ~75 ans, etc. Ces chiffres sont vrais… Par contre, est presque toujours passé sous silence le fait que ces gains sont pour près de la moitié dus à la chute de la mortalité infantile et de la mortalité avant 20 ans!!


Bien évidemment, la chute de la mortalité infantile n’a aucun impact sur l’équilibre des régimes de retraites. En fait, on ne vit pas beaucoup plus vieux. De 1946 jusqu’au début des années 1970, l’espérance de vie à 60 ans des hommes est restée stable à 15-16 ans. Elle a depuis augmenté grâce au progrès du traitement des maladies cardiovasculaires. Mais, comparé à 1946, elle n’est plus élevée que de 7,2 ans pour les hommes et 9,2 ans pour les femmes. C’est beaucoup, mais c’est loin d’être aussi catastrophique pour les retraites que ne le laisse paraître l’espérance de vie à la naissance.

Chute de la natalité

La chute de la fécondité et le « baby crash » pousse au déséquilibre les régimes de retraites. C’est partiellement vrai. Il suffit de regarder la pyramide des âges pour comprendre le choc du départ à la retraite des baby-boomers. On y voit aussi la chute de la natalité à partir de 1973. Une question importante est donc de savoir quelle sera la natalité dans les années à venir.


Et elle remonte depuis le milieu des années 1990. Est-ce temporaire ou permanent? Pour cela, on peut regarder la descendance finale des femmes en France métropolitaine. Cette mesure correspond au nombre moyen d’enfants mis au monde par une génération de femmes donnée tout au long de leurs vies fécondes. Pour des raisons évidentes, les données ne sont disponibles que pour les générations de femmes de plus de 50 ans, ici 1957 l’étude datant de 2007.


Fondamentalement, il n’y a pas vraiment eu de baby-crash! Les générations nées entre 1930 et 1945 ont bien connu une baisse de la fécondité mais qui s’est stabilisée à un taux de ~2.1 enfants par femme. La chute de la natalité observée dans les années 70 correspond donc surtout au report de l’âge des maternités. Autrement dit, les français nés après 1945 ont toujours autant d’enfants mais ils les ont plus tard. L’indice conjoncturel de fécondité est récemment remonté à 2 ce qui laisse bien penser que le nombre moyen d’enfants par femme est durablement établi à ce niveau. Pour résumer:

  • Les français nés après 1945 ont toujours autant d’enfants ~2.0-2.1
  • Contraception et avortement n’ont pas réduit la fécondité des français. La baisse était déjà bien amorcée.
  • Si l’immigration à un impact sur la natalité, il n’apparaît pas dans les chiffres.
  • 2,1 est l’indice de fécondité permettant le renouvellement des générations.

La Pyramide des Ages d’ici 2060

Finalement, avec un taux de fécondité à 1.95 (hypothèse centrale de L’INSEE), elle n’est pas si dramatique que ça. On remarque aussi qu’une faible variation du taux de fécondité à un impact important à l’horizon 2060. On comprend alors que l’Allemagne avec un taux à plat à 1,4 est un pays sans grand avenir. Le Royaume-Uni fait aussi bien que nous, aidé, à noter, par l’exceptionnelle fertilité de ses adolescentes!
On remarque aussi que l’immigration, même si elle peut ponctuellement améliorer la situation, ne change pas réellement la donne. Les immigrés ont, eux aussi besoin d’épargner pour leur retraite et ont tendance à voir leur fécondité s’aligner sur leur pays d’accueil.
A propos des hypothèses de l’INSEE qui datent de 2010. L’institut a déjà relevé a plusieurs reprises, dans son hypothèse centrale, l’indice de fécondité (1.8 en 1998 et 1.90 en 2006). De plus, il se base sur des progrès de l’espérance de vie au même rythme que par le passé, c’est à dire 1 trimestre par année. Pour revenir à l’étude précédente, l’hypothèse n’est pas absurde mais il n’est pas du tout évident que le rythme reste le même. Tout dépendra des nouveaux progrès médicaux et de leurs diffusions. Bienvenu dans le domaine des rendements décroissants. Qui vivra verra.
Bref, sauf pandémie ou guerre nucléaire d’ici 2060, la population française va s’accroître et vieillir déséquilibrant les systèmes de retraite, c’est inévitable. Dans le cas de la France, il s’agit d’une transition démographique en attendant que la situation se stabilise à partir de 2060. Tout ceci est vrai, bien sûr, tant que l’indice de fécondité reste stable à ~2.0-2.1, ce qui devrait amener nos gouvernants à la plus grande prudence quand ils cherchent des économies en réformant la branche famille de la sécurité sociale et les avantages aux familles en général. Fondamentalement, le système, sans être parfait, à tendance à marcher, en tous cas mieux que dans les autres pays développés. Même s’il peut sembler coûteux, il représente un excellent investissement pour l’avenir du pays.

Le trou de la Sécu

Celui-là nous est resservi depuis au moins 25 ans. Les régimes sociaux vont nous mettre sur la paille. Qu’en est-il?


On voit bien une augmentation de la dette des administrations de sécurité sociales dans les années 2000. Cela correspond au vieillissement de la population (assurance maladie) et le début du départ à la retraite des générations du baby-boom. L’inflexion à partir de 2009 correspond à la chute des revenus due à la crise économique. A part ça, même si le pire est devant nous, le « trou de la sécu » est loin d’être hors de contrôle contrairement à celui de l’État. Si seulement, notre classe politique avait pu déployer autant d’énergie à remettre en ordre les finances de l’État, la situation financière de la France serait certainement bien meilleure.

Les déficits actuels des administrations de sécurité sociales

Je n’ai pu trouver d’exploitable que les chiffres pour l’ensemble des administrations publiques de sécurité sociale. Cela couvre principalement les deux poids lourds que sont le système de retraite et l’assurance maladie, les autres branches de la sécurité sociale ayant un faible poids à côté. Néanmoins, la raison du déficit apparaît clairement.


On constate bien un régime relativement à l’équilibre jusqu’en 2008. A partir de 2009, ce sont les recettes qui chutent avec la crise. Avec une reprise même atone, la situation s’améliore déjà. Le déficit actuel est donc essentiellement conjoncturel.

Les besoins de financement du système de retraites d’ici 2060

Le conseil d’orientation des retraites a rendu son dernier rapport en déc. 2012. On peut en lire la synthèse ici. Bien sûr, il s’agit d’hypothèse, et à 50 ans cela peut tenir de la boule de cristal. Ceci dit, voir page 43, selon les différentes hypothèses retenues et à rendements AGIRC/ARRCO constants (cas défavorable):


Les hypothèses des scénarios A et A’ sont optimistes, celles de C’ très pessimiste. Même en considérant le scénario C qui n’est pas brillant, le besoin de financement des systèmes de retraites se limite à 1.6% du PIB avec des ressources, sans nouvelle réforme, représentant ~13% du PIB. C’est beaucoup, certes, mais comparé au déficit chronique de l’État depuis 30 ans, ou des récentes hausses d’impôts, on est très loin du gouffre pour un programme qui représente un des principaux poste de la dépense publique. Pour simple rappel, en supposant une croissance médiocre annuelle de 2% et une inflation modérée de 2%, un déficit public annuel de 1.6% suffit à faire converger la dette de la France à 40% du PIB. Ce sont de simples maths. Je ne suis pas en train de dire que la France pourrait financer par l’endettement à la fois l’incurie de l’État, et le choc démographique sur les dépenses de santé et le système de retraites. Ce serait clairement trop. Par contre, tout est une question de choix et l’effort restant à fournir pour régler le problème des retraites sur le long terme est très loin d’être démesuré.

La fautes aux régimes spéciaux

On l’entend souvent. Il est injuste que les régimes spéciaux laissent partir leurs cotisants à 55 ans et soient financés par le régime général des salariés du privé. Quelque part, il est effectivement difficile d’imaginer demander des efforts à l’ensemble de la population tout en permettant à certaines catégories socio-professionnelles de continuer à partir à 55 ans sans que cela soit justifié par une espérance de vie réduite ou une pénibilité particulière de leur activité. Je pense à, par exemple, d’un côté nos parlementaires, et de l’autre les sapeurs-pompiers dont l’espérance de vie est réduite.
Mais il ne faut pas se leurrer non plus. Aligner les différents régimes de retraite ne réglera pas le problème et de loin. Pour revenir au rapport du COR, on trouve page 124 les transferts de compensation d’un régime à l’autre. Les salariés du privé (CNAV) sont effectivement ponctionnés pour financer essentiellement… la Mutuelle Sociale Agricole et le Régime Social des Indépendants! Pas exactement ceux qu’on croit. De plus, ces prélèvements oscilleront d’ici 2060 entre 4.6 et 6.8 Md. d’euro selon les différents scénarios. S’il suffisait de trouver 5 milliard, le problème des retraites aurait été déclaré réglé depuis longtemps.
Par contre, un point reste juste, la multiplicité des régimes n’aident pas à réduire les coûts de gestion. Ces derniers ne sont pas excessifs, mais difficilement justifiés en ces périodes difficiles.

Yaka faire payer les actionnaires/entreprises

Si vous avez le bonheur de retrouver régulièrement dans votre boîte aux lettres des tracts communistes (je dois vivre pas très loin d’un irréductible), vous savez que 70% de la richesse crée par le nation (valeur ajoutée) revenait aux salariés dans les années 70 et que ce pourcentage a baissé depuis, sous-entendu au plus grand profit des odieux capitalistes. Malheureusement, ce n’est pas si simple. Déjà, nous sommes revenus au taux du début des années 1970, c’est-à-dire entre 58 et 60%. Qu’advient-il du reste de la valeur ajoutée? Une partie consiste en le revenu mixte (indépendants, profession libérale, etc.) et les impôts sur la production et les importations. Quant à l’excédent brut d’exploitation, puisque c’est de cela qu’il s’agit, il permet aux entreprises du pays de payer l’impôt sur les sociétés, leurs investissements, les intérêts et enfin les actionnaires. Au final, la rémunération de ces derniers représente ~7% de la valeur ajoutée du pays (et inclus l’épargne salariale). Techniquement, il est donc possible de faire payer « les riches » à travers les entreprises, mais au risque de décourager l’investissement de ces dernières ce qui n’est pas forcément une bonne idée sur le long terme.

La retraite par capitalisation

Là je ne suis pas sûr que beaucoup de gens comprennent les différences entre un système de retraite par répartition ou par capitalisation. Si nous vivons plus longtemps en retraite, il faudra bien épargner/cotiser plus dans un cas comme dans l’autre? La deuxième remarque est qu’un système par répartition, dans lequel le renouvellement des générations est assuré, n’est pas très différent d’un système par capitalisation. Les assurés sociaux y disposent d’un rendement égal à la croissance du PIB de la France à prix courant. Cela vous parait ridicule?

PériodeTaux Moyen Annuel de Croissance du PIB
1992 → 20023,37 %
1992 → 20073,61 %
1992 → 20123,08 %
1997 → 20074,08 %
1997 → 20123,21 %
2002 → 20122,79 %

Et ce rendement est implicitement protégé de l’inflation. Pour rappel, Madoff proposait des rendements annuels « garantis » de 10%. Et tout le problème des retraites par capitalisation est là. Dans quoi investir? Pour simplifier on peut choisir, directement ou à travers des actifs financiers, immobilier, actions, obligations, ou autres produits plus sophistiqués. Dois-je vraiment faire un rappel!? Bien sûr, sur le long terme, il ne s’agit pas de mauvais placements, d’ailleurs ils ont tendance à suivre la croissance des zones économiques sur lesquels sont adossés. Alors, l’avantage de la capitalisation est de pouvoir investir dans des économies plus dynamiques, comme celles des pays émergents… Mais sauf à être un investisseur particulièrement avisé et/ou adopter un stratégie de hedge fund il ne faut pas espérer des rendements transcendants. Simple rappel de la situation aux US en 2012, l’immobilier a chuté de plus de 50% dans certaines régions, la bourse a à peine retrouvé ses niveaux de 1999, et les taux d’intérêt sont au plus bas depuis 5 ans. Ajoutez à cela que la plupart des américains partent à la retraite avec une épargne complètement insuffisante… Et apparaissent là trois autres problèmes des systèmes par capitalisation

  • les gens ont une tendance à sous-estimer leur besoin d’épargne
  • le citoyen lambda est un mauvais investisseur (Eurotunnel, Yahoo ?)
  • il n’y a pas de mutualisation des risques. Si vous faites un « Jeanne Calment« , vous êtes bon pour la soupe populaire

Bien sûr, un système par capitalisation présente quelques avantages:

  • il permet une retraite plus « à la carte »
  • les gens peuvent être plus facilement convaincu d’épargner plus que de cotiser plus
  • un tel système n’est pas redistributif. Si vous faites partie du quart des français les plus riches, et qu’en plus vous pouvez vous bénéficier des services d’un (vrai) gérant d’actif, clairement, vous êtes gagnant
  • pour les sociétés financières qui meurent d’envie de proposer des produits d’épargnes défiscalisés aux français

Bref, n’oublions pas que par le passé, plus d’une fois les petits épargnants ont perdu leur chemise. Que ce soit le canal de panama, les emprunts russes, la crise de 29, les guerres mondiales, ou plus récemment les crashs boursiers (87, 99, 2009), et immobiliers (91, 2007) etc. M. Gattaz a beau rappeler qu’avant la guerre « les régimes étaient des régimes purement par capitalisation », il oublie de préciser qu’en 1945 ils étaient en ruine. Il semble aussi oublier qu’une dose de capitalisation existe déjà à travers l’assurance vie, les perco, perp, etc. Et quand la moitié des français ne gagnent pas suffisamment pour payer l’impôt sur le revenu, il faut quand même une sacrée dose de mauvaise foi pour leur expliquer qu’ils vont pouvoir en bénéficier. Pour résumer la retraite par capitalisation, si vous faites partie:

  • du quart le plus riche: gagnants à tous les coups
  • du 2ème quart: positif si vous savez faire preuve d’un minimum de bon sens dans vos investissements avec des attentes raisonnables
  • pour les autres: c’est une fumisterie

Le péché originel de la retraite par répartition

Il est de bon ton de dire qu’un système de retraite par répartition ne peut pas faire face aux aléas démographiques. Pas vraiment… Pour remettre dans le contexte de l’après-guerre, en 1945, entre la guerre, l’hyperinflation et la destruction de l’infrastructure économique, l’épargne des français était lessivée. La CNAV a été mise en place pour répondre à ce problème et ne pas laisser les retraités et les actifs les plus âges dans la misère. Dans les années 60, entre la croissance économique et une démographie favorable, les pouvoirs publics ont fait un choix, celui de laisser les cotisations à un niveau faible et de rehausser les pensions afin de limiter le taux de pauvreté des retraités. En cela, ils n’ont pas vu venir la progression de l’espérance de vie à 60 ans et ont fait le pari (perdu) que la forte natalité de l’époque se maintiendrait. Ils auraient pu aussi choisir comme d’autre pays (US, Suède, etc.) de mettre en place un fond de réserve accumulant les excédents des bonnes années pour faire face aux aléas démographiques et garantir les pensions promises. Pour la petite histoire, le Trust Fund de la SSA fut presque à sec en 1982, Ronald Reagan poussa alors une réforme s’étalant jusqu’en 2027 et qui permet aujourd’hui au Trust Fund de couvrir les futurs déficits pendant encore au moins 20 ans. Pour plus d’information, lire ici. La France a bien fini par mettre en place quelque chose qui y ressemble mais en 2003, un peu trop tard donc.

Pour Conclure

Grâce aux différentes réformes engagées depuis 20 ans et à une natalité favorable, le régime des retraites français est loin d’être dans une situation catastrophique. Nous pouvons nous permettre d’avoir un système plus généreux que nos voisins car nous ne sommes pas au bord du gouffre. Bien sûr il reste un effort à faire mais qui reste somme-toute faible, et le déficit actuel brandi par les détracteur du système est essentiellement conjoncturel et sans aucune commune mesure avec l’incurie des dépenses de l’État depuis 30 ans. Alors pourquoi tout ce catastrophisme? Probablement parce Hollande sait bien qu’une réforme, même mineure, est très difficile à faire passer politiquement et utiliser donc la situation. C’est le triste état de la vie politique française.
Ceci dit, même si les aléas économiques conjoncturels pourraient très bien être gérés par la dette, il est important de viser à l’équilibre du régime sur le long terme. Et pour cela, il n’y a fondamentalement que trois leviers:

  • cotiser plus
  • baisser les pensions
  • allonger la durée de cotisation, ce qui revient aux deux précédents points mais maintient le revenu de remplacement

Il s’agit donc essentiellement donc d’un choix politique. Il n’existe pas de solution miracle à commencer par une « dose de capitalisation ». Certes, elle permet d’introduire plus de flexibilité pour ses revenus une fois en retraite. Mais sur un horizon de 40-50 ans avec une stratégie de diversification, il ne faut pas s’attendre à des rendements supérieurs à la croissance des zones économiques sur lesquelles les actifs sont adossés. Bien sûr, ceux qui prétendent le contraire ont des revenus tels qu’ils sont clairement désavantagés par l’aspect redistributif. C’est une chose de penser à son propre intérêt, c’en est une autre de l’avancer en abusant de la méconnaissance du public.
Bien évidemment, il n’est pas trop tard pour relancer le moteur démographique et revenir à des taux de fécondité de l’ordre de 2,5 qui prévalait dans les années du baby-boom. Mais là, il s’agit d’un autre débat, à savoir, voulons-nous vivre dans un pays à la démographie galopante? Les écologistes répondront non bien entendu.
Dans tous les cas, il s’agit donc essentiellement de choix de société. Et faire les bons choix nécessite au préalable de disposer d’une bonne compréhension des problèmes.