Le succès allemand à l’exportation est réel depuis les années 2000. A première vue, les efforts de compétitivité depuis 2000 et les réformes de Schröder ont fini par payer. L’Allemagne laisse sur place France et Grande Bretagne depuis le début des années 2000. Les import/export de ces 3 pays de taille similaire représentaient entre 20% et 30% de leur PIB dans les années 1990. L’Allemagne voit ce taux presque doubler sur une décennie. Ce post va donc essayer d’exposer les clés du succès Allemand et voir dans quelle mesure il pourrait être répliqué.



Pour rappel, la balance commerciale de la zone euro (EU-17) est restée relativement stable et à l’équilibre depuis 2000.


Il s’agit de la première surprise, l’Allemagne représentant un quart du PIB de la zone euro, il est curieux que ses succès commerciaux ne se soient pas manifestés dans ces échanges. Se pose donc la question de la répartition géographique du commerce allemand.


L’Union Européenne a été à l’origine de l’essentiel de l’envolé des échanges commerciaux allemands. Jusqu’en 2008, les échanges avec le continent américain, l’Afrique et le Moyen Orient ont stagné ou à peine augmenté. La part de l’Asie a bien doublé mais elle partait de bas et doit beaucoup à la forte croissance de cette zone. Sans trop de surprises, on constate que les excédents se sont envolés avec l’Union.


Mais, plus précisément, s’ils ont augmenté avec les pays n’utilisant pas l’euro les excédents ont complètement dérapé avec la zone euro allant jusqu’à un pic à 5.3% au 1er trimestre 2007! Depuis la crise, les échanges avec l’Union ont chuté et les excédents sont revenus à leur niveau du début des années 2000. Seuls les excédents avec l’Asie et les Amériques repartent conséquence directe de la chute de l’euro et du différentiel de croissance entre l’Europe et ces deux zones.

Pour mieux analyser ce qui s’est passé, il faut comprendre comment l’Allemagne a amélioré sa compétitivité. Il existe fondamentalement deux leviers possibles, d’un côté des gains de productivité (amélioration des processus industriels, meilleures gammes de produits etc.) et de l’autre une maîtrise des coûts (maîtrise des salaires, délocalisation etc.). Si l’Allemagne a utilisé ces différents leviers, la vraie question est de savoir dans quelle mesure et avec quels résultats.

Délocalisation en Europe de l’est

A partir des années 2000, l’Allemagne a énormément délocalisé dans les anciens pays communistes à sa frontière. Cela se retrouve dans les Investissements Directs Étrangers opérés en Pologne, République Tchèque et Hongrie (certes un peu plus éloignée).


Je rajoute la France à titre de comparaison, les IDE allemands y représentent ~2% du PIB français. C’est beaucoup mais normal s’agissant de son 1er partenaire commercial, et ils sont plus que compensés par les IDE français en Allemagne. Par contre, alors que Pologne, Hongrie et République Tchèque ont aujourd’hui un PIB cumulé inférieur à $1000 Md., soit le tiers de la France, ces trois pays vont finir par recevoir presque autant d’investissements. Bien évidemment, leurs IDE en Allemagne sont insignifiants.
Si on ajoute à cela les fonds de cohésion européens, on comprend l’opportunité qui s’est présentée à l’Allemagne. Les anciens pays communistes disposaient d’une main d’œuvre relativement qualifiée mais manquaient cruellement de capitaux pour développer leur économie laminée par 50 ans de communisme. L’Union a payé les infrastructures, l’Allemagne a financé les usines lui permettant de baisser ses coûts de production mais aidant aussi au rattrapage économique de ces pays. Tout le monde y a été gagnant sauf bien sûr les salariés allemands dont l’activité était délocalisée. L’Allemagne a donc intégré (les mauvaises langues diront asservi) l’économie des ses voisins de l’est à son appareil productif.

Il faut aussi lire les chiffres de la balance commerciale en conséquence. L’Allemagne exporte plus, bien sûr, mais surtout en délocalisant une partie de sa chaîne de production, les biens intermédiaires font des allers retours à sa frontière. Cela gonfle les chiffres sans pour autant indiquer une augmentation équivalente des exportations de produits finis. De plus, selon le principe éprouvé qu’investir dans l’économie de ses voisins est le meilleur moyen de dégager des excédents commerciaux, cela explique les déséquilibres avec ses voisins de l’est. Pour autant, ces déséquilibres ne présentent pas vraiment de risques, ils financent des usines qui par nature présentent un faible risque de fuite des capitaux.

Austérité et modération salariale

J’utilise ici la compensation des salariés définie comme ce qu’un employeur paye (salaire, contribution sociale, etc.). Clairement, l’ « effort » allemand depuis 1999 a été sans équivalent dans le reste de la zone Euro. Dans le même temps, on constate l’impact de la bulle immobilière et de son éclatement sur les salaires en Espagne et Irlande.


J’entends déjà certains s’exclamer « c’est génial », mais il faut comprendre les conséquences d’une telle compression salariale. Du point de vue d’une entreprise, si cette dernière réussi à convaincre ses salariés d’accepter une baisse de salaire, les conséquences ne peuvent être que positives sur son bilan. En effet, ses salariés ne représentent qu’une part insignifiante (voir nulle) de son carnet de commande. Je ne crois pas que les employés d’Areva achètent souvent des centrales nucléaires! Au niveau d’un pays qui, comme l’Allemagne en 2000, consomme les 2/3 de sa production, le gel des salaires et l’austérité ont eu un impact immédiat sur la demande interne! Par contre, l’impact sur les exportations est beaucoup plus lent. En effet, un gain de 2% n’est pas vraiment suffisant pour donner un réel avantage compétitif face aux coûts de transport à travers l’Europe. En tous cas, il est insuffisant pour permettre aux exportations de compenser la faiblesse de la demande interne. Par contre, cumulé sur 5 ans et ajouté aux gains des délocalisations dans les pays de l’est, l’avantage compétitif devient majeur. Ici, le déflateur du PIB, qui est une mesure de l’inflation des biens et services produits par un pays:


On comprend donc mieux les difficultés de l’Allemagne au début des années 2000 et pourquoi sa croissance n’a redémarré que vers 2005. Les importations baissent avec la demande interne, les exportations augmentent mais ne décollent qu’à partir de 2004. Les excédents commerciaux allemands du débuts des années 2000 sont avant tout du à la crise allemande et la faiblesse de sa demande interne.
Je pense aussi qu’il convient de rajouter que face aux conséquences de cette politique sur le taux de chômage, l’Allemagne a décidé en 2006 d’instaurer une TVA sociale. En clair, la TVA augmente pour compenser une baisse des charges des entreprises ce qui revient à peu de chose près à imposer une taxe sur la part étrangère de la plus-value des biens vendus en Allemagne. Traduction, l’Allemagne a mis en place des barrières douanières masquées à l’intérieur d’une zone de libre-échange!! La France, son 1er partenaire commercial a apprécié…

Efforts de productivité

Un dernier levier pour augmenter la compétitivité consiste à investir dans son outil productif, améliorer le rendement de ses salariés, la qualité de ses produits, etc. Cela nécessite de forts investissements qui, couplés à l’envolée des exportations, auraient du logiquement se traduire par une envolée de la formation nette de capital fixe. Or il n’en est rien.


On constate au passage la bulle immobilière en Irlande et Espagne. Même passé l’éclatement de cette dernière, les investissements domestiques des entreprises allemandes restent vraiment faibles. Leur chute de 2000 est à peine compensée par les IDE dans les pays que l’Allemagne a intégré à son système productif. Et de toutes manières, les entreprises ont généralement tendance à délocaliser les activités à forte intensité de main d’œuvre et faible consommation de capitaux. Le succès à l’exportation de l’Allemagne ne doit donc pas vraiment à l’amélioration de ses produits ou de ses méthodes de production mais bien plus à la compression de ses coûts salariaux qui ont baissé les coûts de ses propres produits et en même temps rendu attractive la production sur son territoire. Un dernier graphique pour s’en convaincre:


Que dire alors de la « Deutsche Qualität » quand l’Allemagne a délaissé son appareil productif et bradé sa main d’œuvre attirant les investissements productifs de ses partenaires européens? En même temps, cela souligne aussi le paradoxe français, des multinationales qui se débrouillent fort bien et investissent à travers la planète sans pour autant juger opportun d’investir dans leur propre pays !! Un bon sujet de réflexion pour François…

L’Euro et la fuite des capitaux allemands

Il s’agit d’une égalité comptable, des excédents commerciaux doivent avoir en contrepartie des investissements à l’étranger sous une forme ou une autre. La zone euro ayant une balance commerciale et des comptes courants relativement équilibrées, l’envolée des excédents allemands ont donc dû partir s’investir dans les autres économies de la zone. Sous quelle forme? Clairement pas d’IDE mais essentiellement dans la catégorie « Compte financier, autres investissements » (page 20 du rapport). Qu’est-ce qui se cache derrière? Il s’agit des prêts des banques allemandes vers les pays présentant une balance des comptes courants déficitaire.


Le banques allemandes ont donc recyclé les excédents commerciaux sous forme de prêts dans les autres pays utilisant l’euro. Cela a abouti à une convergence des taux d’intérêts dans la zone euro, mais dans le même temps (coïncidence?), la chute des taux dans les pays en déficit commercial a alimenté une bulle immobilière qui a elle-même dopé l’inflation plombant un peu plus leur compétitivité face à l’Allemagne. La boucle était ainsi bouclée. Comment les secteurs industriels espagnols ou irlandais exposés à la concurrence internationale pouvaient espérer rester compétitifs avec une telle divergence de salaires?! Mais tant que l’immobilier flambait et le chômage restait faible, tout le monde était content. Passé l’éclatement de la bulle immobilière et la crise financière, les capitaux refluent avec les conséquences que l’on sait sur la capacité de financement des États.
Il est important de comprendre qu’il s’agit d’un problème dû à l’Euro. Du temps du Mark, de tels excédents commerciaux auraient entraîné une réévaluation monétaire immédiate gommant l’avantage salarial. Avec le risque de change, jamais les capitaux allemands ne seraient parti s’investir à l’étranger avec une telle ampleur. Ils seraient restés en Allemagne, baissant les taux et stimulant investissements et consommation internes. Avec l’Euro, on assiste à un changement de paradigme. Pourquoi investir ses capitaux en Allemagne où la croissance est atone alors qu’elle est forte en Espagne ou en Irlande? Le différentiel d’inflation aurait avant 1999 signalé un fort risque de dévaluation, avec l’Euro plus aucun souci.
L’Allemagne a donc subi une fuite de capitaux aggravant son marasme économique. Et on comprend le casse-tête de la BCE au moment de fixer ses taux directeurs. D’un côté, une inflation forte à la périphérie de l’Europe avec une surchauffe économique et des taux d’intérêts trop faibles. De l’autre, une inflation quasi nulle en Allemagne, une croissance en berne et des taux trop élevés…

Le succès allemand est asymétrique

Il est fondamentalement basé sur une compression des coûts salariaux et une inflation faible relativement à ses partenaires de la zone euro stimulant les exportations vers cette dernière et captant ses investissements productifs. Il doit assez peu au succès des exportations vers le reste de la planète ou à d’importants investissements dans son appareil productif qui ont en réalité plutôt décliné. L’Euro, par nature, a empêché toute dévaluation externe de ses partenaires commerciaux qui aurait permis le redressement de leur compétitivité. Du temps des monnaies nationales, Franc, Lire, Peseta etc. auraient progressivement dévalué. Depuis 1999, ce sont les soldes des échanges commerciaux qui se dégradent. Le succès allemand s’est donc réalisé au dépend (sur le dos?) de ses partenaires de la zone Euro.


Curieusement, Jusqu’en 2007 seuls les Pays-Bas ont réussi à ne pas voir leur position se dégrader malgré une plus forte progression des salaires.

Répliquer le modèle allemand

Si la solution de la zone Euro est allemande et passe par les exportations, le premier problème est que la zone entière va devoir dégager des excédents commerciaux. Entre un secteur privé qui cherche aujourd’hui à se désendetter dans les pays en crise, et les États priés d’appliquer une austérité drastique, on comprend que les excédents dont la zone va avoir besoin vont tout simplement être massifs! Se pose donc la question de savoir vers qui? A l’heure actuelle la demande mondiale est en berne et même la croissance chinoise ralenti. C’est donc mal parti. De toutes façons, il est politiquement difficile de croire que les autres grandes zones économiques toléreraient un déversement de capitaux dans leurs propres économies. Les USA on une sérieuse gueule de bois et ne sont plus vraiment un état, les pays exportateurs d’hydrocarbures et l’Asie depuis la crise de 1997 pratiquent déjà ce jeu-là…

La sortie de crise de la zone euro va donc devoir passer par un ré-équilibrage interne de la compétitivité de ses pays membres. Salaires et niveau des prix sont trop élevés relativement à l’Allemagne. Pour la France par rapport à 2000, les salaires sont de 13% plus élevés et les coûts de production de 9%. Alors que faire?

Délocaliser, mais vers qui?
Les pays aux frontières de la France ont des coûts salariaux élevés (Espagne, Italie, etc…). Le Maghreb a bien des salaires faibles mais ne présente pas la même qualité d’infrastructures ou de main d’œuvre sans parler de la même sécurité juridique ou stabilité politique.

Réaliser des gains de productivité?
Celui-là est répété à souhait. Mais en Europe comme aux US, les gains de productivité horaire ont été inférieurs à 2% en moyenne sur les 30 dernières années. A supposer que les Allemands soient vraiment stupides et n’en réalisent eux-mêmes aucun sur les années à venir, il faudra au moins 6 ans pour les rattraper. Et encore une fois, le succès allemand n’est pas vraiment du aux investissements dans son appareil productif.

Mettre en place une TVA sociale?
Nicolas Sarkozy a bien essayé au lendemain de son élection en 2007. La gauche a flairé le bon coup politique et l’idée fut vite enterrée. Bien vu… Ceci dit, vu l’ampleur de l’écart, on comprend bien que 2 ou 3 point de TVA vont probablement aider mais seront loin d’être suffisants. Et encore une fois, on peut se poser la question du bien-fondé de la mise en place de barrières douanières, même déguisées, au sein d’une zone de libre-échange. Nos partenaires européens ne manqueraient pas de réagir et personne ne s’en sortirait indemne.

Une sortie de l’Euro?
Certes, l’Euro tel qu’il a été mis en place, c’est à dire une monnaie unique sans état fédéral ou politique économique commune a été une erreur économique. En même temps, nos dirigeants devaient être conscients du problème puisqu’ils avaient mis en place des critères de convergences. Mais peut-on aujourd’hui en sortir sans créer un séisme financier à travers l’Europe? L’Italie doit ~500Md. € aux différentes banques et institutions françaises. Que devient cette dette le jour où nous repassons à la Lire et au Franc? En même temps, qu’un pays de taille suffisamment importante fasse défaut (Espagne ou Italie), et c’en est fini de l’Euro.

Et pourtant un réajustement est à l’œuvre

L’Irlande est clairement entrée en déflation. Étant un petit pays s’appuyant traditionnellement sur son commerce extérieur (et ses avantages fiscaux) son chômage semble se stabiliser à ~15%.  L’Espagne y est presque et son chômage dépasse les 25%. Avec un chômage qui s’alourdit à travers la zone euro, il est donc facile de constater que l’ajustement se réalise à l’heure actuelle par la faillite des entreprises et la mise sur le carreau des actifs dont la productivité n’était pas assez élevée. En conséquence, ce ne sont pas tellement les exportations qui reprennent mais plutôt les importations qui stagnent voir diminuent. Il s’agit d’un réajustement par le bas.
Le problème est, qu’à ce jeu-là, le montant des dettes passées reste le même et s’alourdit donc par rapport au PIB. Cela aggrave donc la crise économique et menace un peu plus la solidité des banques et des États.
Finalement, la seule solution qui permettrait d’accélérer l’ajustement et d’en atténuer les conséquences est… plus d’inflation en Allemagne. Et là, ce n’est pas gagné!! Mais, avec un flux des capitaux inversés depuis 2008, l’Allemagne bénéficie de taux proches de zéro et du plein emplois. Une inflation, somme toute modérée, fait donc naturellement son retour. Est-ce suffisant? A ce rythme-là, non. L’ajustement Allemand s’était réalisé dans la douleur à une époque où le reste de la zone Euro redémarrait économiquement avec une inflation modérée. La zone euro, même si elle évite l’éclatement, est donc partie pour une longue période de croissance faible et chômage élevé. Si on se réfère aux précédents historiques, par exemple le Japon, il faudra probablement encore au moins 5 à 10 ans.

Pour Conclure

La modèle allemand est asymétrique. Il se base essentiellement sur une dévaluation interne relativement à ses partenaires européens. Il ne peut donc fonctionner que si personne d’autre ne l’applique. Et peut-on vraiment parler de succès? Les 1ères années furent désastreuses, la croissance du PIB par actif médiocre sur la décennie mais pouvait-il en être autrement avec des investissements domestiques en baisse? Bien sûr, le reste de la zone Euro finira par se ré-ajuster et regagner sa compétitivité face à l’Allemagne, mais dans un contexte de crise internationale qui rendra l’ajustement encore plus dramatique. Et sur quoi se basera alors la croissance allemande? Assistera-t-on à un retour de balancier?
Mais le problème n’est pas vraiment là! En effet, à ce jeu là gagnent les pays qui réussissent le mieux à contenir leurs salaires et jouer sur la concurrence fiscale. Il s’agit donc essentiellement d’une course vers le bas qui consiste à plomber sa demande interne et éroder sa base fiscale en espérant compenser par le grignotage de celle du voisin. Peut-on vraiment espérer bâtir la prospérité de l’Europe sur de telles fondations? Et surtout, un pays qui comme la France à toujours ajusté depuis 60 ans ses salaires par le taux de change peut-il espérer prospérer longtemps dans un tel système?
Et pour finir, à ceux qui pensent que le taux de change réel n’a pas tant d’impacts, je les invite à remarquer qu’au cours des années 1990, le taux de change réel du Franc face au Dollar et au Deutsche Mark avait chuté. Coïncidence, la balance commerciale française était alors positive et croissance et emplois avaient fait un beau retour de 1997 à 2001.